Rendez-vous avec Nadège Moyart, de l’association Zazie Mode d’Emploi, pour une découverte par l’écriture du travail de Laurent Pernot et de son exposition Titans.
Avec l’association Zazie Mode d’Emploi, qui travaille avec les principes du groupe d’écrivains de l’Oulipo, l’espace 36 propose depuis plusieurs années des ateliers d’écriture au public, au sein même des expositions. Grâce aux jeux littéraires proposés, nous invitons les spectateurs à exprimer leurs sentiments et leurs réactions face aux œuvres exposées.
Nadège Moyart a proposé à notre public plusieurs contraintes d’écriture.
– écriture poétique collective, « La Tournette » – selon un ordre précis de contraintes, chacun écrit un vers, puis passe à son voisin pour la suite…
Paysage pétrifié Paysage On se balade... Dans les grands espaces qui nous entourent Paysage pétrifié Y’a-t-il encore du vivant ? Y’en a-t-il encore ? Partager, crisser, aspirer, durer, respirer Il est impossible d’agir Homme pétrifié Hors du désert Et hors du temps | Paysage lunaire Lunaire On dirait que ... Le sol bout Paysage lunaire La Lune a-t-elle déjà embrassé la Terre ? Pourquoi la Lune est-elle si éloignée de la Terre ? Observer, s’inquiéter, respirer Il est impossible d’aimer dans ce monde. Cratère lunaire Déshumanisé On dirait que nous sommes Tous partis | Ciel étoilé Ciel On entrevoit ... Le clignotement effacé de ses mini-taches Ciel étoilé Pourquoi le désert est-il si immense ? Les nuages nous ont-ils quittés ? Aimer, vivre, danser, regarder, sauter Il est impossible de boire l’eau de cette fontaine Eau étoilée Dans l’espace L’impénétrable atmosphère nous étourdit planète monstrueuse |
Nous, heureux Nous On voyage à travers... L’espoir d’un arbre Nous heureux Heureux de quoi ? de l’espoir ? Jusqu'à quelle profondeur faudra t-il creuser ? Creuser, boire, manger, espérer, se perdre Il est impossible de voyager Heureux, libre Au centre de la Terre L’autre s’envole, voyage, et reprend espoir | Vision grandiose Vision On est étourdi par… Le paysage désertique Vision grandiose Comment tu te sens parmi ces photos de Laurent Permot ? Est-ce en Afrique ? Vivre, respirer, voir, courir, marcher, plonger, regarder Il est impossible de garder son calme Grandiose vallée Avec circonspection La terre éventrée s’expose sous nos yeux médusés | Balustrade basse Basse On s’envole ... Au-dessus des mines Nous, heureux Reviendra-t-on pour les vacances ? Irons-nous sur Mars l’été prochain ? Danser, boire, aimer Il est impossible de voir des arbres autres que pétrifiés Gigue basse Hors du temps Hors de l’espace et du ciel |
Escalier géant Géant On estime leur esprit à leur ... Taille d’emmarchement Escalier géant Où sont les hommes ? Où sont les humains ? Déblayer, désensabler, exploiter, extraire Il est impossible de déambuler Géant escalier Durant le grand oubli Par à-coups et petit à petit | Eau rouge Rouge On nous a prédit que, ici ou ailleurs ... Nous allions découvrir notre destin Eau rouge Où est passé l’oxygène ? Quel ravin ? Inspirer, expirer, inspirer, expirer, inspirer, expirer, trébucher Il est impossible de se sauver de ce labyrinthe désertique Planète rouge Dans la carrière qui fume De l’eau s’échappe, source de vie | Fumée noire Noire On se balade dans… Les routes de poussière blanche Fumée noire Que reste-t-il de moi ? Que devient la poussière de roche rouge ? Moucher, traîner, sauter, franchir Il est impossible de se retrouver Fumée géante Cinq jours après la fin du monde On est de retour de l’espace 36 |
– Lettre poétique depuis un lieu de voyage imaginaire, départ et final imposés selon un extrait du recueil « Lointain intérieur, Je vous écris d’un pays lointain » de Henri Michaux.
Je vous écris d’un pays lointain, à plusieurs milliers de km de la Terre. Même si cette planète rouge est occupée depuis des siècles, par nous humains, nous n’avons jamais vraiment réussi à la comprendre. Des traces des civilisations pluri-millénaires, disparues bien avant notre arrivée, continuent de déchirer le paysage. Tels des dieux vengeurs destructeurs, qu’étaient-ils pour disparaître totalement, ces êtres qui ont ainsi creusé leur berceau, au point de le détruire. Il ne reste rien. Il n’y a rien. On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi ?
Je vous écris d’un pays lointain où l’odeur de soufre vous prend à la gorge. On ne peut parler qu’à faible voix. Il faut s’économiser. L’altitude aussi nous enlève l’oxygène de la bouche. Rien ne semble vivre, ni plantes, ni animaux. Et les hommes d’ici où sont-ils ? Des chemins pourtant sont tracés, lignes sinueuses taillées par la force des machines. On suffoque. Est-ce l’ardeur du soleil ou le silence écrasant des pierres qui nous abasourdissent ? On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi ?
Je vous écris d’un pays lointain où le paysage est désertique, où toute civilisation a disparu. Il faut que je trouve un vase pour boire de l’eau. Je dois écrire mirages, les illusions, les hallucinations liés à l’étourdissement de mon esprit vagabond qui se perd dans un labyrinthe rempli de sable, de pierre, d’arbres pétrifiés. Le désert est titanesque, grandi et magnifique. On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi ?
Je vous écris d’un pays lointain. Comment expliquer le styx. Je ne suis plus le même homme, suis-je un esprit, un démon, grain de sable ou d’étoile ou de blé ? Ce pays existera si cette missive vous parvient. Entendez-vous les nuances du souffle du vent ? Il est dit : « on ne voit bien qu’avec le cœur ». D’ailleurs ici, on ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble, pourquoi ?
Je vous écris d’un pays lointain. Après un long voyage à travers l’espace et le temps, nous voilà sur Tatoine, des espaces titanesques, des escaliers immenses. Cette planète me rappelle notre voyage sur Mars. Il nous a fallu plusieurs jours d’adaptation, car les denrées sont rares et l’eau rouge si belle… elle est toxique. Toujours aucun signe de vie. Le désespoir nous gagne de plus en plus, mais on continue les recherches scientifiques. Dans ces espaces désertiques On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble, pourquoi ?
Je vous écris d’un pays lointain où la vie n’a de sens que le mot que l’on donne. Le soleil nous accompagne sur ce chemine sinueux et long. La solitude aussi est là, froide, noire, vide et lourde ; je l’oublie un instant, pour me reposer dans l’herbe haute d’un champ de paille. Il fait chaud, la température monte. J’ai soif, je n’ai pas pris de bouteille d’eau, tant pis. J’attendrai d’être rentré pour boire. On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble, pourquoi ?
Je vous écris d’un pays lointain. L’âpreté des chemins précède des paysages martiens. Y-a-t-il de l’eau claire ? Je ne crois pas. Elle est croupie et pleine de saletés flottantes. Les montées souillées se répètent pas à pas. Abruptes collines qui répandent un air de mort. Pas un buisson, encore moins un arbre ne dessine un paysage morbide ; les pieds s’empoussièrent et font flotter un air aride à travers des vallées immenses. On ne croit jamais arriver devant leur profondeur. On aspire de la poussière, rouge, brune, collante. Notre gorge s’éteint comme un volcan englouti. Notre regard cherche la vie avec acharnement et ne trouve que plaies béantes et vides. Que fait l’homme en cet endroit ? De temps en temps, une carcasse rouillée donne de l’espoir, vite disparu… toujours des monticules privés de vie. On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble, pourquoi ?
– Caviardage, à partir de la publication de l’exposition : barrer des passages, pour ne laisser apparaître que quelques mots, formant un nouveau récit …







